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Les membres de l'ANF ont-ils vraiment besoin d'aide ? Ou le véritable sens de l'entraide

02 juin 2021 Activités du siège
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Si la question peut sembler provocatrice, elle mérite néanmoins d’être posée. En apparence, la noblesse française n’a pas besoin d’être aidée : ses membres jouissent encore d’un certain patrimoine matériel et spirituel (entendons cet adjectif non dans un sens uniquement religieux, mais comme tout ce qui touche à la vie de l’esprit). Ils partagent une histoire, une éducation, un sens de la famille et des relations qui les aideront toujours à s’en sortir en cas de besoin. Ils sont des privilégiés.

Une mode : aider son« lointain »

Alors pourquoi s’entraider dans un milieu privilégié ? N’est-ce pas absurde, quand on voit le nombre de « vrais » pauvres à aider ? N’est-ce pas désuet ? La mode n’est-elle pas d’aller faire de l’humanitaire dans les pays en voie de développement ? Ou d’aider les personnes de la rue ? Ou encore de se consacrer aux banlieues françaises ? Bref, s’il y a un impératif aujourd’hui, c’est d’aller servir le prochain, oui mais surtout quand il est loin.

Certes quand ce désir est une véritable vocation et un don authentique de sa personne, il est admirable. Mais sa tendance à devenir un effet de mode nous invite à réfléchir : aider son « lointain », n’est-ce pas parfois une quête d’exotisme ? Ou un besoin de se donner bonne conscience en restant focalisé sur la grande misère lointaine pour éviter d’affronter les pauvretés plus immédiates de nos familles?

L’entraide, une exigence de la vie chrétienne

Or, l’entraide dans notre milieu est d’abord une exigence de la vie chrétienne : ce qui nous a été demandé par le Christ, c’est de servir notre prochain, c’est-à-dire celui qui nous est immédiatement proche. Nul besoin d’aller le chercher au loin : le prochain, c’est mon conjoint, mes enfants, parents, frères et sœurs, membres de ma famille. Ce sont mes amis, voisins, collègues mais aussi ceux qui ont poussé dans la même terre que moi : ma famille proche et lointaine, ainsi que par extension, les membres du milieu qui est le mien. Rappelons qu’un des membres fondateurs eut l’idée de créer l’ANF en rencontrant dans le hall d’une gare un manutentionnaire d’origine noble :orphelin après la guerre de 1914, ruiné par les emprunts russes, ce dernier n’avait eu d’autre avenir que de devenir ouvrier à la SNCF, et sans entraide, il aurait sans doute quitté son milieu d’origine.

La différence entre l’aide et l’entraide

C’est précisément le sens de l’entraide : à la différence de l’aide, dans laquelle une personne assiste une autre personne qui est assistée, l’entraide est une aide mutuelle. Son caractère réciproque lui vient d’un patrimoine commun partagé entre les personnes qui s’aident mutuellement : une même éducation, une même histoire, un même savoir-faire... D’ailleurs l’entraide n’est pas spécifique à l’ANF : il existe des aides réciproques au sein d’une famille, d’une corporation, d’une association.  Pensons aux anciens combattants : c’est au nom d’un sacrifice et d’un traumatisme partagés que ces associations fleurirent au lendemain de la première guerre mondiale pour venir en aide aux soldats mutilés, aux veuves et aux orphelins. Le patrimoine commun des membres de la noblesse, c’est une histoire, une certaine éducation, une même foi… Au nom de cet héritage reçu en partage, nous devons nous entraider.

Plus qu’un devoir, c’est une nécessité.

Certains acquiesceront sans doute à ce raisonnement, mais le considéreront bien idéaliste : oui, dans un monde idéal, il faudrait s’entraider au sein de la noblesse, mais il y a déjà tant de personnes dans la misère, qui sont d’abord à aider, que l’entraide viendra après. Il me semble précisément qu’une hiérarchie entre aide (pour les gens vraiment dans le besoin) et entraide (entre membres d’un même milieu) n’est pas pertinente, et que l’entraide dans la noblesse est une vraie nécessité.

Dans un monde en pleine mutation, notre milieu est menacé de disparition en perdant sa conscience aristocratique. Depuis la Révolution, et peut-être même encore plus au cours du XXe siècle, nos familles ont connu une lente descente, quand ce n’est pas une véritable chute, qu’elle soit matérielle ou spirituelle. Nous avons tous perdu un certain train de vie, parfois une propriété de famille devenue trop lourde,et nous luttons pour garder une certaine exigence de vie.

Il ne s’agit pas ici de céder à un discours pessimiste mais de constater la situation avec lucidité et sans aigreur : cette situation qui nous concerne tous n’est pas la faute d’un seul, mais un mouvement général de société. Dans un monde où la lutte pour l’égalité est devenue le leitmotiv de tout engagement politique, social, culturel ou associatif, il faut bien reconnaître que notre identité est complètement à contre-courant !

D’ailleurs, s’il est parfois de bon ton de ridiculiser l’entraide dans l’aristocratie, ou du moins d’en nier l’intérêt, c’est souvent en raison de complexes nés de ce discours ambiant. Qui oserait affirmer la singularité aristocratique dans une société où prime l’égalitarisme ? Qui oserait avouer qu’il consacre son temps libre à l’entraide familiale et aristocratique ? Méfions nous, surtout parmi les jeunes générations, sans doute plus déracinées que leurs aînées, d’une « quête de sens » un peu trop idéaliste ou d’un certain spiritualisme qui nous permettrait en réalité de cacher nos complexes de milieu. Oui nous sommes un monde un peu à part, oui nous avons une certaine exigence de vie, oui nous aimons le patrimoine et tout ce qui élève l’âme et non, ce n’est pas un péché. Entretenir un château, c’est offrir la beauté à contempler. Donner un beau dîner, c’est faire rayonner la culture française. Perpétuer une éducation reçue, c’est participer à l’effort de civilisation et assurer l’avenir de notre pays.

Une entraide matérielle et surtout spirituelle

Dans un monde où l’égalitarisme et l’individualisme sont rois – moi, ma liberté, mes droits, mes choix, mes blessures – réaffirmer l’importance de l’excellence, de la lignée, de la famille, de l’entraide, du devoir jusqu’à parfois l’abnégation est devenu inaudible ! Aussi faut-il du courage pour maintenir vive cette conscience aristocratique, qui n’est ni un snobisme, ni un fardeau, mais une identité reçue à notre naissance au service de notre pays. Ce courage nous manque parfois – que nous soyons pris dans nos modes de vies urbains chronophages ou dans la solitude de nos campagnes reculées. L’entraide n’a jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, et à mon sens,au XXIe siècle, elle ne doit pas d’abord consister en dons d’argent (en raison des nombreuses aides sociales de notre pays), qu’en dons de temps, de présence et de ressources morales, culturelles et intellectuelles.

Par exemple, combien de nos enfants auraient besoin que l’on passe du temps avec eux dans le délicat exercice de la transmission en leur racontant l’histoire de leur famille,

leur expliquant le sens de tel geste de courtoisie ? Combien de nos adolescents auraient besoin que l’on consacre disponibilité et énergie pour former leur goût des belles choses, développer leur art de la conversation ou leur transmettre telle exigence morale, vestimentaire ou physique?  Nous-mêmes, n’est-ce pas la figure marquante d’un grand-père ou d’une tante, qui, par le temps qu’il ou elle nous a consacré, a su faire mûrir ce sentiment d’appartenance à notre milieu ?

La longévité et la grandeur de certaines familles aristocratiques ne peut-elle pas s’expliquer par un sens très fort de l’entraide ? La pire des misères, ce n’est pas la pauvreté – car avec des relations on peut toujours s’en sortir – c’est la solitude.C’est peut-être le sens de l’ouverture du procès de béatification de Madame Elisabeth, restée héroïquement en captivité pour soutenir son frère et sa belle-sœur dans leur solitude devant la vindicte publique et la mort. Beaucoup d’exemples historiques prouvent que c’est l’entraide qui a non seulement préservé certaines familles de la ruine financière ou de la chute morale mais qui leur a aussi donné l’occasion de développer grandeur et noblesse d’âme.

En guise de conclusion…

…nous pouvons nous reporter à la sagesse populaire : puisque « charité bien ordonnée commence par soi-même »  et par les siens, l’entraide familiale et aristocratique devient l’expression même d’une charité ajustée, certes moins exotique que d’autres causes à la mode, mais peut-être plus profonde et plus humble. Ce n’est pas sauver le monde, mais permettre au terreau fertile dans lequel nous avons poussé, de perdurer afin que germent de futures générations au service de notre pays.

Comtesse François de Cumond