Titre : un signe de noblesse ?

La possession d’un titre, surtout à l’heure actuelle n’est pas synonyme de noblesse. Sous l’Ancien Régime, le port du titre n’entrainait pas la reconnaissance du statut de noble et n’en était qu’un accessoire. Par contre c’était le cas des personnes titrées au XIX ème siècle.

Vous trouverez ci-après, un article exhaustif sur ce sujet publié dans notre revue en juillet 2006.

 

De l’usage du titre en droit et en fait

par André de Savignac

Dans le règlement intérieur de l’ANF, au paragraphe Admission des candidats, il est écrit ceci : "L’ANF ne se prononce que sur la qualité nobiliaire de ses membres, qu’ils portent ou non un titre. Le titre sous lequel ils sont enregistrés ne préjuge pas des droits qu’ils peuvent avoir ou ne pas avoir de porter le titre dont ils se prévalent, au regard des règlements administratifs."

Dans la pratique, l’Association dans ses publications reporte les titres tels qu’ils sont indiqués par les membres et consacrés par l’usage. Cependant, face à un cas inédit, elle prend garde à ne pas créer un précédent qui pourrait servir de première référence à d’autres publications.

La Commission des Preuves est un des premiers organismes de l’Association en contact avec les candidats et elle est particulièrement attentive à cette question. Par ailleurs, certains candidats sont admis comme descendant d’une personne titrée au XIXème (1er Empire, Restauration, règne de Louis-Philippe, Second Empire), sans tenir compte de la règle de primogéniture que nous développerons plus loin. Ceci est une politique adoptée par l’Association depuis sa création conformément à ses statuts mais qui prête à la critique de certains puristes.

Il n’est pas inutile néanmoins de rappeler dans cet article quels sont les principes qui ont régi et qui régissent encore le port autorisé des titres.

À l’origine, le titre était attaché à la possession d’un fief. Au Moyen Âge, ils étaient peu nombreux puis progressivement furent augmentés par les différents régimes successifs. C’est ainsi que l’on compte, selon certains auteurs, des princes ou ducs aux barons, 5 titres créés par Louis XII, 12 par François Ier, 12 par Henri II, 39 par Charles IX, 34 par Henri II, 68 par Henri IV, 106 par Louis XIII, 623 par Louis XIV, 447 par Louis XV, 66 par Louis XVI. La durée exceptionnelle du règne de Louis XIV n’est pas étrangère au nombre important de titres. Au XIXème, avec l’Empire c’est l’inflation ! Napoléon créa 2085 titres plus 1502 chevaliers. La Restauration créa 471 titres, Louis-Philippe 89, Napoléon III 134. En outre, ce dernier en confirma 274 authentiques ou de courtoisie. Ces chiffres ne sont qu’approximatifs, différant suivant les auteurs. Il faut y ajouter les titres étrangers dont les titres pontificaux qui ne sont pas reconnus par l’État Français.

Examinons maintenant les règles de transmission héréditaire.

Ancien Régime

Le titre était attaché à la possession d’un fief. A la mort du titulaire, l’héritier seul pouvait porter le titre. Les cadets étaient sans titre à moins qu’un autre fief, avec un titre attaché, faisant partie de l’apanage du père, ne leur revienne. Souvent le patronyme n’était pas mentionné, ce qui ne facilite pas l’historien dans l’établissement d’une généalogie. Les créations de titres se faisaient par Lettres Patentes qui devaient être enregistrées par le Parlement local. La transmission à l’héritier devait être confirmée dans les mêmes conditions. Sous Louis XIV et ses successeurs, cet enregistrement n’a souvent pas été effectué, ce qui n’empêchait pas les héritiers successifs de continuer à porter le titre. Progressivement, à la suite de la vente du fief, on vit apparaître chez les nouveaux propriétaires le titre sans légitimité, l’ancien propriétaire conservant son titre et le transmettant à son héritier. Enfin au XVIIIème, de plus en plus de titres furent attribués sans fief et se transmettaient sans formalité. Seuls les papiers officiels (actes paroissiaux ou notariés) en témoignaient. A la fin du XVIIIème, les généalogistes du Roi les reprennent dans leurs actes sans les mettre en cause.

1er Empire

En créant les titres, Napoléon institua le système du majorat : pour rendre le titre transmissible, le titré devait lui affecter un patrimoine apportant une rente d’un certain niveau. Les conditions ont été fixées par l’article 6 du décret du 1er mars 1808. Le but était de permettre aux titulaires successifs de tenir leur rang social. Les biens désignés étaient indissociable du majorat. Il y avaient les majorats "sur demande" fondés sur les biens propres et les majorats de "propre mouvement" fondés sur une dotation de l’Empereur. Il s’agissait souvent d’une rente sur les terres extérieures comme la Westphalie. L’Empereur créa le Conseil du Sceau chargé d’instruire toutes les questions de titre. C’était l’équivalent des généalogistes du Roi sous l’Ancien Régime. La création du majorat faisait l’objet d’un rapport du Sceau et de Lettres Patentes. Par ailleurs, la règle de déclinaison des titres pour les fils fut admise, mais avec création de majorat : pour les princes et ducs, comte, pour les comtes, baron. De nombreux titres ne furent pas suivis de majorats et ne furent donc pas transmissibles. Enfin la transmission devait se faire par ordre de primogéniture et de mâle en mâle, donc pas de reprise par une branche collatérale sauf décision souveraine.

Restauration

Elle maintint le principe du majorat pour les nouveaux titres et l’obligation de confirmation pour la transmission héréditaire des titres de l’Ancien Régime. De nombreux titrés ne se soumirent pas à ces règles. La transmission par ordre de primogéniture resta valable.

Louis-Philippe

Sous Louis-Philippe, la création de majorat fut supprimée par la loi du 13 mai 1835. Le 4 octobre 1837 le Roi décida que pour les personnes décédées avant le 13 mai 1835 dont le majorat n’avait pas été créé, le titre n’était pas transmissible sauf accord du Roi. Pour les autres on pouvait supposer qu’ils en avaient le projet mais en avaient été empêchés par la loi de 1835 et donc leur titre était transmissible sans condition, suivant la règle de primogéniture, sauf exception sur décision souveraine.

Second Empire

Sous le 2ème Empire, la transmission se fait par ordre de primogéniture de mâle en mâle.

Quelle a été la situation réelle ? A toute époque, il y a eu usurpation de titre contre laquelle les souverains ont tenté de réagir : arrêts d’Henri III en août 1579, d’Henri IV du 14 juin 1595, du Parlement de Paris du 12 août 1663, de Louis XIV du 8 décembre 1699.

En pratique, les titres sans justification étaient nombreux, ainsi que l’ont critiqué Saint-Simon, Boileau, Molière. L’une des raisons du laxisme de l’autorité royale était que le port du titre n’entraînait pas la reconnaissance du statut de noble et n’en était qu’un accessoire. On le constate quand on étudie les arrêts de maintenue de noblesse ou les certificats délivrés par les généalogistes du Roi. L’un d’eux, Chérin, estimait en 1788 qu’il y avait 20000 titres irréguliers.

Le Roi lui-même tolérait en sa présence le port d’un titre sans contrôle préalable, notamment pour les personnes admises aux Honneurs de la Cour. Cette dernière situation concerne 95 titres dont 36 marquis.

Sous l’Empire, l’usurpation de titre fût sanctionnée par l’article 259 du Code pénal, supprimé en 1832 par la Monarchie de juillet, restauré par le 2ème Empire en 1848 et renforcé en 1858. Cet article a été maintenu par la IIIème République et est toujours en vigueur. Mais il est pratiquement lettre morte.

A l’heure actuelle, on est en présence d’une grande quantité de titres, pour la plupart probablement irréguliers. A cela, plusieurs causes. Tout d’abord, non respect des règles énoncées ci-dessus :
enregistrement au Parlement, création de majorat, confirmation de succession. Depuis le milieu du XIXème, il y eut l’abandon de la règle de primogéniture et généralisation à tous les membres de la famille du titre avec éventuellement une déclinaison : comte, vicomte et baron. Au XIXème, certains secrétaires de petites mairies ajoutèrent le titre sur les actes, croyant avoir affaire à une situation régulière. Autre cause : adjonction au nom du nom d’une branche maternelle tombée en quenouille et reprise du titre associé, régulier ou pas. Enfin, adjonction d’un titre à l’occasion d’un faire-part d’évènement familial. La 1ère génération d’amis sourit mais obtempère dans la correspondance, puis les génération suivantes entérinent. A titre d’exemple, Woelmont, dans son livre "Les Marquis français" paru en 1914 donne le chiffre de 987 titres de marquis portés en France dont seulement 220 titres réguliers en France et 71 résultant de l’admission aux Honneurs de la Cour.

La République ne reconnait pas les titres. Cependant le Conseil du Sceau du Ministère de la Justice est habilité à valider le port d’un titre. Sa décision entraine l’inscription du titre à l’État civil en adjonction du nom. L’aspect juridique s’apparente à une modification du nom. Le Sceau examine la validité de la transmission aux différentes générations, notamment sous l’aspect de primogéniture. Ainsi, l’absence de création d’un majorat, de scellement de lettres patentes, sont des causes de rejet des demandes. L’autorisation doit être sollicitée à chaque génération. Le dossier doit comprendre l’acte authentique délivrant le titre et tous les actes établissant la filiation entre le premier titulaire et le demandeur. Il doit être présenté par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, intermédiaire obligé. La procédure est longue et peut prendre plusieurs années. Le dossier des preuves d’admission à l’ANF devrait pouvoir servir par ses pièces authentifiées de filiation.

Conclusion

La question de la régularité du port actuel d’un titre est complexe et on comprend la sagesse des fondateurs de l’ANF d’exclure cette question des procédures d’admission. Cependant, indirectement, la Commission des Preuves est obligée d’examiner si un titre du XIXème était transmissible à son origine, puisque, suivant la jurisprudence de l’ANF, c’est une preuve acceptable d’admission pour tous les descendants en ligne directe. La vérification s’arrête à cet aspect et ne continue pas sur la validité de la transmission, ce qui permet l’admission simultanée de plusieurs membres d’une famille. Cette position est critiquée épisodiquement par certains spécialistes du droit nobiliaire, mais c’est un choix fait dès la création de l’A.N.F. sur lequel il ne sera pas revenu.

Bibliographie

- Catalogue de la Noblesse Française (R. Valette)
- Les Titres authentiques des familles françaises (La Barre de Raillicourt)
- Dictionnaire des Titres et des terres titrées en France (Eric Thiou)
- De l’âge des privilèges au temps des vanités (Vte de Marsay)
- Les Marquis français (Woelmont)

André de Savignac
Secrétaire de la Commission des preuves